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verra n’en seront pas pires, et l’ensemble n’en pèsera pas davantage.

Aux hommes destinés à l’action la Providence envoie de bonne heure ce qui peut les y rendre habiles plus tard, des passions où il faut agir, des intérêts qui demandent de la ruse, des aventures qui réclament leur énergie ; ils parcourent, dans leur jeunesse, un cycle pareil à celui qu’ils auront un jour à parcourir ; ils sentiront d’une manière plus générale ce qu’ils ont senti d’abord, appliqueront en grand ce qu’ils ont fait dans un cas particulier, dans une intrigue ordinaire, de même qu’on lit les grands traités de philologie après avoir lu les grammaires élémentaires, Girault-Duvivier après Noël et Chapsal, Mattiac après M. Burnouf.

Le premier amour d’Henry lui a fait goûter les délices des autres et tous leurs tourments ; il s’est fortifié d’orgueil, a souffert de vanité, enraciné qu’il était dans d’autres sentiments se ramifiant à mille autres choses ; Henry a appris la vie comme on devrait apprendre l’équitation, en commençant par monter des chevaux sauvages, qui peuvent vous tuer du premier bond, mais qui vous feront voir en peu de temps comment il faut s’y prendre.

Au début il a été aimé, il s’est laissé aller à cet amour, il a voulu le rendre plus fort, et c’est sa douleur qui s’est accrue ; il a été jaloux d’un homme, il l’a quitté, et il est tombé dans des maux plus grands ; il a éprouvé la misère, il l’a subie par deux fois, puis il a vu les outils dont il fallait se munir pour creuser sa mine et il a songé à les acquérir ; il a assisté à la décadence normale d’une passion qu’il avait crue éternelle, et il a vu par les résultats qu’elle avait dû avoir lieu, chez la femme qui l’avait aimé, comme il l’avait éprouvée en lui ; son chagrin s’est passé, d’autres attachements sont survenus, ils se sont rompus plus vite encore ; d’autres convictions sont arrivées, elles sont