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nise les morts, rétablit les ruines et donne au passé une vie réelle, élucubration solitaire, composée de science et d’inspiration, enfantement complexe des intelligences, œuvre muette et féconde par laquelle l’histoire s’élève au niveau de la philosophie et de l’art, puisqu’elle a besoin de l’expérimentation analytique pour être vraie et des combinaisons de la perspective pour le paraître.

Dans l’état encore incomplet de ses études, Jules se contentait d’exposer les opinions et les données différentes qu’il savait, laissant la conclusion à faire ; Henry n’avait de doutes qu’aux endroits où le doute est indiqué, il était convaincu de ce que l’on croit communément, il niait hardiment tout ce que l’on nie.

C’était bien pis encore en littérature ; Henry était tout à fait revenu des admirations exagérées de sa jeunesse, mais en quittant l’exagération il avait quitté l’enthousiasme, cette intelligence suprême des belles choses ; la médiocrité de la pensée ne l’irritait pas, et il n’avait point non plus en son âme l’adoration des chefs-d’œuvre. D’ailleurs ses prédilections et ses vénérations s’étaient toutes tournées d’un autre côté et n’offraient plus le même caractère. Quelle différence avec Jules, qui n’avait que des admirations d’artiste et que des antipathies nerveuses.

Les livres qu’Henry lisait le soir, dans son lit, avant de s’endormir, c’étaient les romans nouveaux, les pièces du jour, des feuilletons ou des vaudevilles. Quand il voulait prendre des œuvres sérieuses, c’étaient celles des époques les plus littéraires en elles-mêmes, des génies les plus corrects et les plus châtiés ; son poète favori était Horace, il lisait volontiers les plaidoiries de Cicéron, aimait à retrouver dans Racine quelque chose de sa propre tendresse, et se plaisait même aux plis nombreux et réguliers du style de Fénelon. Il n’avait gardé du romantisme — vieux mot qu’on emploie à défaut d’un meilleur — que le côté tout