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qui l’écoutaient ; il se comparait aux plus spirituel, se mettait au-dessus de ses égaux, et s’amusait en secret de la bêtise des bêtes et de la laideur des laids.

Il savait, dans les marchés les plus honteux, qu’il ne faut jamais nommer la chose que l’on achète, et que l’on doit respecter la pudeur des impudiques et la susceptibilité de la canaille, les voleurs n’aimant pas à entendre parler de vol, ni les assassins d’assassinats, car, à part leur habitude de voler et d’assassiner, ils sont peut-être au fond très honnêtes et très humains.

Il se croyait encore tendre, parce qu’il l’avait été jadis ; il se jugeait aussi très moral, parce qu’il aimait à voir la moralité chez les autres.

Voilà comme, prenant la vie humaine au sérieux, elle n’avait pour Henry rien de véritablement sérieux ; honnête dans ses mœurs, humain avec ses semblables, probe dans les relations sociales, il tâchait cependant de coucher avec toutes les femmes, d’exploiter tous les hommes et d’accaparer tous les louis ; mais il voulait arriver au premier de ces buts sans qu’on s’en scandalise, au second sans qu’on s’en aperçoive, au troisième sans qu’on l’en puisse blâmer ou punir, car il n’aimait pas le scandale en lui-même, n’avait pas plus d’égoïsme qu’un autre, et était vraiment un fort honnête garçon.

Jusqu’alors il n’avait pas eu d’ambition, mais il allait peut-être en avoir, à mesure qu’il découvrirait plus de choses à ambitionner et que chaque jour, en en acquérant quelques-unes, il lui en resterait davantage à acquérir : l’appétit vient en mangeant et la convoitise en regardant.

Pour compléter son éducation, il avait appris les notions de beaucoup de choses afin d’être universel, et il en avait étudié à fond une ou deux restreintes et particulières afin de s’y montrer profond ; il savait assez de mathématiques pour arpenter un jardin, et