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ou de repaire de brigands ; le troisième enfin bénit la Révolution dans son principe et dans ses résultats, tout en déplorant « les excès qui l’avaient souillée ». Jules, dès lors, se priva de parler d’histoire.

Restaient donc ces éternels lieux communs, qui sont l’aliment inépuisable de la conversation entre les hommes, points de contact par lesquels le dernier goujat et le plus grand génie du monde se ressemblent, je veux dire le vin, la bonne chère et les fillettes ; mais, outre la monotonie du sujet, Jules était toujours surpris du peu de débauche des débauchés, du petit estomac des gourmands, et de l’avarice des prodigues. Il fréquentait un homme à bonnes fortunes, une manière de séducteur de profession, qui avait régulièrement un amour sérieux par mois, sans compter le reste des anciens qui duraient plus ou moins longtemps ; chaque nouvelle maîtresse était toujours supérieure à la précédente, en âme, en cœur, en beauté, en poésie, etc., et, la suivante survenue, il riait de tout ce qu’il avait dit sur le compte de la première ; ainsi des autres. Comme il lisait un jour à Jules une lettre qu’un nouvel ange lui adressait par la poste, Jules fit la faute de rire tout haut à une phrase qu’il reconnut pour être de G. Sand :

— Vous n’êtes pas digne de comprendre cela, s’écria l’homme sentimental, qui en était à sa quarante-troisième bonne fortune ; sortez, vous me faites mal ! vous êtes un cœur sec, indigne de ces confidences.

Il rencontra dans la rue trois jeunes gens qui couraient à une orgie :

— Viens avec nous, lui dirent-ils, nous allons faire un crâne souper, tout est payé d’avance, y compris les dames qui viendront au dessert et les glaces que l’on pourra casser.

— Merci, leur répondit Jules, je n’en suis pas.

— Ah ! oui, dirent-ils, tu n’aimes des femmes que leur figure, et des bouteilles que le bouchon !