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cules dont elle est spécialement douée, il en découvrit tellement dans la nôtre qu’il en arriva, par rapport au genre comique, aux mêmes conclusions qu’il avait trouvées quant au tragique. Ainsi il avait eu d’abord envie de s’amuser avec les Saint-Simoniens, mais les Fouriéristes l’emportèrent, de même que M. Cousin lui semblait très drôle avant qu’il n’ait lu Pierre Leroux. Qu’est-ce qui fera rire, en effet, quand tout est risible ? il est vraiment pénible pour un auteur de penser que, quelque bêtise qu’il fasse débiter à ses bouffons, les gens graves en diront toujours de plus forte.

On ne peut pas faire la charge de la charge elle même. Où faudra-t-il puiser matière à satire ? qui nous l’offrira ? Sera-ce l’Université par hasard ? mais les jésuites réclameront ; les orateurs patriotes peut-être ? mais les journalistes vertueux ne leur en cèdent guère ; les savants ? et les artistes, bon Dieu ! l’orgueil des ténors sans doute ? mais celui des danseurs, miséricorde ! Il songea bien encore à l’Académie, composée des grands seigneurs de la bourgeoisie, de ministres destitués, de pairs podagres, de commissaires de police enrichis, d’écrivains qui ont l’esprit de ne rien écrire et de quelques critiques qui en ont eu le malheur, où l’on recevra bientôt des poêliers-fumistes, des notaires et des agents de change. Hélas ! ceux qui l’attaquent n’ont-ils pas bien plus d’outrecuidance, et ceux qui veulent y entrer bien plus de platitude ?

Il entendit, dans un salon, un homme réciter des vers ; les vers étaient médiocres et les mains du poète étaient fort sales.

— Quel est ce rustaud ? demanda-il à son voisin.

— N’en dites pas de mal, c’est un grand homme.

— En quoi ?

— C’est un cordonnier qui fait des vers.

— Eh bien ?

— Mais c’est là toute la merveille, parbleu ! voilà son éditeur qui est à côté de lui et qui vient de le pré-