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l’autre, fusion divine où l’esprit, s’assimilant la matière, la rend éternelle comme lui-même. Mais ces secrets ne se disent pas, et pour en apprendre quelques-uns, déjà il faut en savoir beaucoup.

À force de contempler les belles œuvres dans la bonne foi de son cœur, de se pénétrer du principe qui les avait produites, et de les regarder abstractivement en elles-mêmes quant à leur beauté, puis relativement à la vérité qu’elles manifestent et qu’elles exposent, quant à leur puissance, il comprit ce que c’est que l’originalité et le génie, et il eut un dédain complet de toutes les poétiques du monde. Si chaque artiste est appelé à reproduire ce qu’il y a de général dans le monde et dans la nature, suivant le caractère particulier de son talent et sous une forme concrète unique, sans laquelle la spécialité de l’œuvre n’existerait pas ; si chaque idée réclame un moule qui soit à sa taille ; si chaque passion, suivant l’homme où elle se produit, rend un son différent, et si le cœur humain est un immense clavier que d’octave en octave et d’accords en dissonances le penseur doive parcourir, depuis les intonations les plus sourdes jusqu’aux plus aiguës ; si chaque feu a sa flamme, chaque voix son écho, chaque angle entrant son angle sortant ; si le fourreau est bien fait pour le glaive et le langage pour la pensée, comment niveler toutes ces hauteurs différentes, rapprocher ce qui doit être écarté, appareiller ce qui n’a pas de rapport, et vouloir contenir dans les mêmes limites, habiller du même costume, enfermer sous la même forme toutes ces différences essentielles d’origine, de nationalité, de siècles, d’époques ?

L’étincelle qui sort de la pierre, la pâleur de la lune, la rougeur du soleil, les étoiles qui scintillent, les comètes qui flamboient, tout cela c’est la lumière, essence unique qui a des modalités différentes ; ainsi chaque œuvre d’art a sa poétique spéciale, en vertu de