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ment ses pas, il les reconnut ; alors, sans regarder en arrière, il donna un grand coup de pied dans le vide.

Enfin il arriva chez lui, il referma vite la porte, monta dans sa chambre et poussa le verrou.

Quand il eut changé de vêtements — les siens étaient trempés, il grelottait — il ne se coucha pas, il se mit à réfléchir sur ce qui venait de lui arriver, sur les émotions qu’il avait eues, et il essaya dans son souvenir de les parcourir une à une et de les scruter jusqu’au fond pour en avoir la cause et la raison. Il était sûr pourtant qu’il n’avait pas rêvé, qu’il avait vraiment vu ce qu’il avait vu ; ce qui l’amenait à douter de la réalité de la vie, car, dans ce qui s’était passé entre lui et le monstre, dans tout ce qui se rattachait à cette aventure, il y avait quelque chose de si intime, de si profond, de si net en même temps, qu’il fallait bien reconnaître une réalité d’une autre espèce et aussi réelle que la vulgaire cependant, tout en semblant la contredire. Or ce que l’existence offre de tangible, de sensible, disparaissait à sa pensée, comme secondaire et inutile, et comme une illusion qui n’en est que la superficie.

Et il songeait toujours à sa rencontre ; l’envie lui vint de la refaire pour tenter le vertige, pour voir s’il y serait le plus fort. Quoiqu’il n’eût rien aperçu dans les rues, sans doute pourtant qu’il avait été suivi jusqu’à la fin, que le chien l’attendait et le cherchait encore ; lui-même d’ailleurs l’attendait presque et le souhaitait ardemment, au milieu de l’horreur qu’il en ressentait.

« Comme ce serait étrange, se dit-il, s’il était là, dans la rue, à la porte ! Allons-y ! » Et tout en descendant l’escalier : « Quelle folie je fais là ! quelle sottise de penser… S’il y était cependant !… »

Jules ouvrit la porte, le chien était couché sur le seuil.