Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

levante. Le chien vînt se coucher aux pieds de Jules, écarta lentement ses mâchoires en bâillant d’une façon mélancolique et attristée ; un homme n’eût pas soupiré avec un ennui plus douloureux.

Mais d’où venait donc cette bête ? que voulait-elle ? À mesure cependant qu’il la considérait, il croyait revoir son ancien épagneul ; cependant pourquoi n’entendait-il plus son nom ? Lucinde lui en avait peut-être donné un autre, ensuite elle l’avait chassé n’en voulant plus, et battu peut-être pour le faire en aller. Y avait-il longtemps de cela ? dans quels lieux avait-il été avec elle ? où l’avait-il laissée ? par quels chemins était-il venu ?

Et Jules se sentît une compassion infinie pour cet être inférieur qui le regardait avec tant d’amour, il se ressouvint alors du jour qu’on le lui avait donné, c’était un jeudi, un jour de fête, on l’avait apporté dans un panier sur du coton ; il se rappela le temps où il était tout petit, quand il se perdait dans le gazon, éternuant aux herbes qui lui piquaient le museau ; il venait le matin sur son lit, il se jouait dans ses draps, mordait les couvertures, traînait le tapis de pied dans la chambre ; le soir, quand Jules rentrait du collège, il reconnaissait son pas et aboyait en l’entendant venir de loin. Quand il sortait, il l’emmenait avec lui, il le laissait courir çà et là, chassant dans les taillis, effrayant les poules à travers les haies, gambadant, galopant, pendant que son maître continuait sa promenade et sa rêverie. Puis il avait grandi, il était devenu beau, on l’admirait, les dames le caressaient, passaient leurs mains blanches dans ses longs poils soyeux, sur sa tête mince et allongée ; Lucinde l’avait vu, l’avait baisé, elle l’avait voulu.

Ah ! pourquoi s’en était-il allé avec elle ! et que n’étaient-ils au temps où ses pattes grêles résonnaient sur le parquet ciré de la chambre de son vieux maître ! « Est-ce toi ? lui demandait-il, est-ce toi, Fox ? Fox,