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s’il l’avait regardé et qu’il le méprisait même pour son manque d’esprit, le père Renaud se sentait le cœur navré et était pris de l’envie de le serrer dans ses bras, de l’embrasser comme son fils.

Cependant le commandant, qui rentrait dîner chez lui au moment où la foule se pressait encore aux portes de la caserne, s’informa de la cause de tout ce bruit-là. Henry se chargea de la lui expliquer, la lui expliqua en grand homme, et conclut en le priant d’avoir la bonté de lui faire donner une brosse et un morceau de savon avant de sortir, car sa toilette avait été fort endommagée dans cette bagarre.

Le commandant fut charmé de l’allure de notre héros, de son aplomb, de ses manières de gentleman.

— Êtes-vous aussi aimable que vous en avez l’air ? lui dit-il, et si je vous invitais à dîner avec des amis, seriez-vous assez galant homme pour accepter ?

— Allons, commandant, c’est vraiment m’engager, pour l’avenir, à recevoir, comme je l’ai fait aujourd’hui pour celui-ci, tous les goujats de Paris qui me regarderaient de travers ; vous trouverez bon, néanmoins, que j’aille un peu me rajuster chez le premier coiffeur venu.

— Mais que ferons-nous de l’autre ? demanda l’amphitryon en désignant M. Renaud, faut-il qu’il y passe la nuit ?

— Bah ! lâchez-le, dit Henry avec un air d’indulgence magnifique. C’est une bête !

— Vous n’en parlerez pas, disait le père Renaud à Shahutsnischbach en s’en retournant chez lui, vous n’en parlerez à personne, entendez-vous bien ? pas à ma femme surtout ! Vous direz que je suis tombé, qu’une voiture m’a renversé, que j’ai perdu connaissance longtemps, et que c’est là la cause de mon retard, car elle doit être bien inquiète.

Il y avait au dîner du commandant une belle barbue à la sauce blanche et un délicieux macaroni qui filait