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quence, y compromit sa dialectique et y réussit à la fin, ce qui l’étonna beaucoup lui-même, car il n’eut pas autant de mal qu’il l’avait cru d’abord, et Henry se laissa facilement convaincre.

Henry avait à Aix un vieil oncle, marchand d’huile ; on l’envoya chez lui y continuer le cours de ses études législatives et tâcher de s’y faire recevoir licencié. Par ce moyen, avait pensé Morel, il cesserait de voir Mme Renaud et l’oublierait peut-être. Henry partit donc pour la Provence, non toutefois sans avoir promis à Émilie de se revoir bientôt et de lui écrire souvent : ces deux années passées loin d’elle n’étaient qu’une concession pénible, qu’il avait faite à ses parents pour se débarrasser de leurs criailleries et de leurs intrigues.

Les premiers six mois, en effet, ils s’écrivirent régulièrement toutes les semaines, ils se parlaient de leur passé, de leur amour déjà vieux, de la tonnelle du jardin tapissée de clématites, des anciennes causeries dans le salon, seuls, en tête à tête, debout dans l’embrasure d’une fenêtre, de leur séjour en Amérique qu’ils regrettaient quelquefois, des villes où ils avaient été ensemble, puis de leur navire, de la mer, des soirées écoulées sur le pont, des pigeons du bord qui venaient manger dans sa main, et du vieux manteau de satin noir doublé d’hermine ; ils se répétaient les mêmes tendresses, ils se lamentaient avec les mêmes exclamations, mais chacun de plus en plus était longtemps à trouver ses mots et il lui en venait moins sous la plume.

Peu à peu le format de leurs lettres se raccourcit et ils espacèrent davantage leurs lignes ; au bout d’un an Henry était vraiment à la torture lorsqu’il lui fallait reprendre cet éternel style langoureux et furieux qui lui était si facile autrefois ; de même qu’à peine s’il décachetait les épîtres de Mme Renaud, remplies du même rabâchage insignifiant.

Il s’amusait bien plus, les dimanches soirs, à regar-