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passer d’une ligne à l’autre, impatient de ce qu’elle allait dire et guettant le cri qui exprimerait tout haut le sentiment qui l’étouffait, mais il ne surprit sur sa figure aucun geste intelligent des choses ; pas un muscle n’en bougea, pas un soupir ne gonfla sa poitrine, pas un mot, pas une larme, pas même ce sourire de tristesse qui se retient sur la bouche ; elle respirait avec calme et continuait sa lecture.

Quand elle eut fini, elle replia les feuilles dans leurs mêmes plis et les rentra dans leur enveloppe.

— Pauvre garçon ! dit-elle avec une expression dolente et charitable, en remettant le paquet à Henry, il paraît bien à plaindre !

Et elle leva sur lui ses grands yeux noirs attendris.

Muet de surprise, pâle et le regard sec, Henry cherchait dans sa prunelle ce rayon sympathique par lequel les cœurs se réchauffent ; ébahi de son silence, il la contemplait sans rien dire, comme on regarde avec une terreur étonnée la cassette vide qui contenait un trésor. Plus rien ! rien ! c’était encore cette éternelle expression douce et niaise, ce même sourire des dents blanches ! Elle ne comprenait donc rien ? elle ne sentait donc rien ? mais quelle étroitesse de l’esprit et du sentiment, quel excès de cruauté ou de bêtise dans l’expansion banale de sa tendresse pour cet égoïste inconnu, qui se lamentait en phrases ampoulées sur ses maux imaginaires !

Et il s’écarta d’elle, une affreuse tentation le poussait à la battre pour la faire pleurer plus fort, l’entendre crier, et voir changer sa figure, au moins une fois en sa vie. Il voulut se plaindre, mais la vanité le prit à la gorge et l’empêcha de parler ; il voulut cependant trouver une phrase, une phrase terrible, effort inutile ! tout restait en lui ; ce qui dut s’élancer au dehors, ne pouvant sortir, retombait en dedans et y creusait son trou comme des charbons sans flamme.

Que fit-il donc ? Il proposa à Mme Renaud une partie