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volontiers, mais qu’elles l’ennuyaient d’ordinaire, etc. ; qu’il les aimait d’une façon, mais qu’il ne les aimait pas d’une autre, passage du reste peu intelligible dans sa lettre, à cause de l’extrême concision des idées — chose nouvelle en lui, qui jadis prodiguait les répétitions — et d’une trop grande crudité de ton pour être rapporté ici ; les choses y étaient nommées par leur vrai nom, accompagné seulement d’une épithète, simple mais pittoresque, sans doute par amour de la couleur locale.

La troisième et la quatrième pages étaient encore remplies de déclamations furieuses contre la niaiserie de son existence, entremêlées de sarcasmes sur lui-même, car il semblait se ravaler à plaisir et se traîner dans la boue, comme s’il eût voulu exercer une vengeance contre sa propre personne ; néanmoins il ne se préoccupait que de lui, ne parlait que de lui, il se détaillait, se décrivait, s’analysait jusqu’à la dernière fibre, se regardait au microscope ou se contemplait dans son ensemble ; on eût dit que son orgueil l’avait placé au-dessus de lui-même et qu’il se voyait avec pitié. À la cinquième page, enfin, se trouvait le nom d’Henry. Jules approuvait son départ, toute sa conduite en général, et il s’étendait sur l’amour qu’il portait à sa maîtresse et sur le bonheur qu’elle lui donnait.

« Que tu es heureux, lui disait-il, comme j’envie ton sort ! la destinée, qui m’a tout refusé à moi, t’a comblé, tu es libre, ni entraves qui te gênent, ni égards pour personne, aucun de ces liens sous lesquels l’intelligence asservie se débat et se convulsionne, et tu es aimé encore ! tu as à tes côtes la femme que tu as choisie entre toutes les femmes, et qui t’a choisi entre tous les hommes ; puis tu habites un monde plus beau, tu ne vois plus ce ciel de plomb qui nous pèse sur le crâne, tu ne respires plus cette atmosphère alourdie où la poitrine étouffe. »