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complet, dans lequel elle vivait comme dans un monde. Ainsi qu’aux heureux, son ciel n’avait qu’une étoile.

Mais dans ses plus doux moments, quoique alors ce fût plutôt un bonheur paisible et continu, inondant chaque place de l’existence, que de ces expansions soudaines à irruptions bruyantes, comme les cascades au printemps, dans ses heures les plus suaves, dis-je, elle trouvait moins à lui dire et n’avait presque plus de ces gazouillements enfantins dont elle était si prodigue autrefois ; elle ne lui parlait plus des autres pour ajouter qu’elle le préférait à tous, elle n’avait plus de confidence à lui faire ni de récits de son cœur à lui conter ; tout en effet avait été dit, redit, répété cent fois, la parole devenait inutile, tout se traduisait par le regard et par le sourire, un éternel sourire ! Le cercle des sujets extérieurs se rétrécissant de plus en plus, elle semblait moins apte à causer d’une foule de choses sur lesquelles, dans les premiers temps, ils croyaient ne pouvoir tarir. Partout, toujours, à propos de tout et de rien, c’était Henry ou ce qui se rapportait à lui, elle y ramenait la pensée la plus éloignée, y rattachait la cause la plus étrangère.

Vainement voulait-il quelquefois la voir sortir de cet exclusivisme où elle se complaisait si fort et, débarrassé pour un instant de la chaîne qui le ramenait à lui-même, la faire participer à d’autres aperçus de la pensée, elle restait fixée au même endroit, arrêtée devant les mêmes limites ; elle le suivait bien pendant quelques minutes, tant qu’il parlait de sa manière personnelle de sentir et de percevoir, mais dès qu’il arrivait à la généralisation d’un sentiment, aux dernières conséquences des faits, dès qu’il touchait enfin au dernier échelon du terrestre pour s’envoler dans les espaces indéterminés, alors son œil étonné et son visage muet l’avertissaient assez qu’il y