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— Pas plus ça qu’autre chose.

— Ah ! vous faites le blasé, dit-elle en riant, est-ce que vous êtes déjà dégoûté de la vie par hasard ? pourtant vous êtes si jeune !… À la bonne heure, moi ! j’ai le droit de me plaindre, je suis plus vieille et j’ai plus souffert que vous, allez, croyez-moi.

— Non.

— Oh ! oui, fit-elle en soupirant et en levant les yeux au ciel, j’ai bien souffert dans la vie — et elle frissonna comme si elle eût ressenti la douleur de souvenirs amers — un homme est toujours moins malheureux qu’une femme, une femme… une pauvre femme.

À ces derniers mots, une clef qu’elle avait dans les mains et qu’elle n’avait cessé de faire tourner sur son index s’arrêta tout à coup dans sa rotation, serrée convulsivement par les cinq jolis doigts de Mme Renaud.

C’était une main un peu grasse peut-être, et trop courte aussi, mais lente dans ses mouvements, garnie de fossettes au bas des doigts, chaude et potelée, rose, molle, onctueuse et douce, aristocratique, une main sensuelle ; les yeux d’Henry y étaient singulièrement attirés ; il descendait, de l’une à l’autre, les deux lignes qui, partant de son poignet, remontaient alternativement entre chaque doigt, il regardait curieusement la couleur un peu fauve de cette peau fine, bleuie à certaines places par le cours de petites veines minces entrecroisées.

Mme Renaud, de son côté, considérait ses grands cheveux châtains épanchés en larges masses sur ses épaules, avec son attitude entière toute naïve et pensive.

À quoi pensent-ils donc l’un et l’autre ? à peine s’ils se sont parlé qu’ils se taisent déjà, voilà le dialogue interrompu.

Mme Renaud est au coin de la cheminée, le coude