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vieille lettre de Jules. M. Gosselin se mit à la lire, et comme il y était question d’amour et de poésie, d’art ou de femmes, de tout ce qu’il y a enfin dans les lettres de jeunes gens au bel âge où ils s’écrivent, il la froissa avec dépit comme s’il y eût découvert quelque chose de rare et de monstrueux.

— Lui aussi, dit-il, il s’en mêlait ! voilà bien leurs phrases et leur genre, leur galimatias dangereux ! il lui conseillait, tenez, d’abandonner le droit et d’écrivailler comme lui ; je m’étais toujours méfié, du reste, de ce petit polisson-là, il lui tournait la tête, il l’exaltait.

— C’est possible, c’est bien possible, dit M. Renaud, qui ne connaissait ni Jules ni la lettre en question, mais qui était bien aise de se montrer du même avis que M. Gosselin.

— Tout cela ne nous dit rien, reprit celui-ci, voyons sur son bureau.

Ils feuilletèrent donc ses cahiers et ses notes et lurent le titre des livres entassés en piles sur la table.

M. Gosselin, les prenant l’un après l’autre. — Qu’est-ce que c’est que ça ? voyons un peu. Ah ! des vers ! de la crème fouettée ! des méditations religieuses ! Qu’est-ce qu’il avait à faire avec ça ?… un Chateaubriand ! c’est un bon auteur celui-là, mais il a pourtant trop soutenu les prêtres, d’ailleurs c’est un Carliste… Dans tout ça je ne vois pas beaucoup de livres de droit, je ne vois pas seulement un Cujas, savez-vous où était son Cujas, monsieur Renaud ?

— Non.

— Vous ne savez rien ! vous deviez pourtant surveiller ses études et voir s’il avait un Cujas au moins, que diable !

Puis, continuant à manier les livres :

— En avait-il ? en avait-il ?… Si tout ça valait quelque chose au moins ! si c’étaient de « bons auteurs » !