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de suite quérir un fiacre, poussa dedans nos deux bourgeois, et l’on se dirigea vers l’institution Renaud.

Mme Gosselin, fatiguée du voyage et les yeux rouges d’avoir pleuré, semblait toute malade et endolorie ; son chapeau de soie puce, dont le voile était noué sous le menton pour lui tenir les oreilles chaudes, avait reçu plus d’une cassure ou d’une bosselure ; ses gants de fil étaient éraflés, ses bas blancs salis et ses souliers à rubans noirs tournés autour de la jambe, tout couverts de poussière. M. Gosselin avait les traits fatigués, le teint échauffé, la barbe longue, sa cravate était un peu jaune sous la mâchoire, et les bagues de son habit surtout auraient eu besoin d’un coup de fer. Mais les pauvres gens ne songeaient guère à leur toilette.

— Ah ! qui l’eût cru, monsieur Morel ! disait la mère, qui me l’eût dit ? dans une maison comme celle-là !

— Que voulez-vous, ma pauvre dame.

— Une maison qui se recommandait si bien d’elle-même ! nous avions pourtant pris tous les renseignements possibles ! mon Dieu ! mon Dieu !

— Voilà comme on est trompé, disait le père.

— Une femme mariée ! répétait Mme Gosselin.

— Ce n’est pas une raison, répondait M. Gosselin, ce sont les pires quand elles s’y mettent, les plus dévergondées.

— Vraiment ? mais où croyez-vous qu’ils soient partis, monsieur Morel.

— C’est ce qu’il nous faut savoir.

— Au reste ça ne m’étonne pas, reprit Mme Gosselin.

— Comment donc ?

— Oui, depuis quelque temps… dans ses lettres… il me semblait m’apercevoir… de quelque chose… comme ça… je ne peux pas dire… mais…