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que je fais, de ce que te ferait ta mère, de ce que je t’aime ? Ici nous sommes libres, Henry, je peux rester là toute la nuit, toute la journée, à te regarder et à te consoler. Dors, enfant, dors, repose-toi, tu seras mieux tantôt.

D’ordinaire, le soir, à la brise, il se trouvait mieux, il montait sur le pont. Émilie le soutenait, elle lui parlait du temps où ils se promenaient dans le jardin, où il lui donnait le bras pour monter de l’escalier au salon, ou elle s’appuyait dessus comme elle faisait maintenant.

— Te souviens-tu comme je tremblais ? disait Henry.

— Et moi comme je te regardais ?

— Ah ! je serrais ton coude sur mon cœur, est-ce que tu n’en sentais pas les battements ?

— Comme cela, n’est-ce pas, disait-elle clignant des yeux et se renversant le cou en arrière.

— Oh ! regarde-moi ainsi, disait Henry, de cette manière-là… longtemps… tu me rappelles les premiers jours que je t’ai vue.

Après le dîner, ils se promenaient encore sur le pont, aux étoiles ; elle l’entourait de son manteau et ils marchaient ensemble dessous, car il leur était commode pour cela, comme si on l’eût fait exprès. C’était bien un de ces exquis vêtements qui savent l’histoire de toute existence de femme, vêtements pleins de souvenirs, beaux autrefois, faits alors pour être jetés sur des épaules nues, à la sortie du bal, pour que l’hermine brille sur la peau et que le satin glisse sur les chairs, puis, qu’on a mis en visite de temps à autre, les grands jours, qu’on a repris malgré la mode contraire, qu’on aime comme un ami, dont les mères enveloppent leurs enfants quand ils sont petits, dont ensuite elles se couvrent les genoux en voyage, lambeaux de sentiments, d’affection, de passion, de rêverie et de folies qu’on use jusqu’à la corde et qu’on ne donne pas aux pauvres.

Quant à Émilie, sa santé était excellente, elle sup-