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Ils vivaient, mari et femme, en bonne intelligence, ce qui tenait à la bonassité du mari et à la douceur de la femme ; on eût dit à les voir le meilleur ménage du monde, et après déjeuner ils faisaient même un tour de jardin ensemble bras dessus, bras dessous.

Madame avait sa bourse particulière et son tiroir secret ; Monsieur grondait rarement et depuis bien longtemps déjà ne faisait plus couche commune avec Madame. Madame lisait très tard le soir dans son lit ; Monsieur s’endormait de suite et ne rêvait presque jamais, si ce n’est quand il s’était un peu grisé, ce qui lui arrivait quelquefois.

VI

Il y avait dans cette maison, quant aux personnes, différents individus dont nous ferons peut-être plus tard la connaissance, mais entre autres, un Allemand qui se livrait aux mathématiques et deux Portugais de famille très riche, d’esprit très lourd, de mine très laide et de peau fort jaune, qui achevaient leurs études afin de retourner savants dans leur pays.

Henry se lia peu avec ses nouveaux camarades, il restait le plus souvent dans sa chambre, sortait rarement, et quand cela lui arrivait, rentrait de bonne heure. Il avait apporté beaucoup de choses de son pays : un petit portrait de sa sœur, qu’il accrocha de suite à la tête de son lit, des pantoufles brodées par sa mère, son fusil, sa carnassière, le plus de livres qu’il avait pu en fourrer dans sa malle, une petite boîte où il serrait ses lettres, un buvard en maroquin rouge sur lequel il écrivait, et puis son couteau, un presse-papier, un canif, plusieurs canifs même, cadeaux de jour de l’an qui lui rappelaient de vieilles connaissances et des jours écoulés.