Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sa pelisse et réchauffait ses doigts transis sous la fourrure qui en garnissait les poignets. C’était une vieille pelisse de satin noir, avec des manches et un capuchon, ouatée, doublée d’hermine parsemée de taches brunes, un vêtement souple et bon, plein de molles caresses et de douceurs chaudes ; elle l’ouvrit d’un côté et en enveloppa Henry qui, s’abaissant sur ses jarrets, lui enveloppa la taille de son bras gauche et se blottit contre elle pour se réchauffer à la chaleur de son corps ; ils s’amusèrent tous deux à ce geste câlin d’enfant. Elle avait les pieds mouillés, sa chaussure mince ayant été traversée d’un seul coup par une vague plus forte que les autres, qui avait sauté jusqu’à eux. C’était du reste une de ses manies de se chausser trop finement ; en toute saison elle ne portait que de petites bottines d’été, qui se perdaient à la moindre pluie ou qu’une tache de boue gâtait, mais elle souffrait tout gaiement ; ce soir-là, par exemple, elle se frappait le bout des orteils contre les grès du parapet et battait la semelle en se dandinant comme un écolier.

— Rentrons, lui dit Henry, j’ai peur pour toi.

Ils allèrent voir leur capitaine. Celui-ci les assura qu’ils seraient parfaitement bien à son bord et qu’ils y jouiraient de toutes les douceurs de la vie : liberté complète, plaisir de la promenade sur le gaillard d’avant et sur le gaillard d’arrière, et pain frais trois fois par semaine. Il leur montra leur cabine, ornée d’un tapis et de deux cuvettes en faïence bleue, les engageant, s’ils le voulaient, à en prendre possession immédiatement, devant mettre à la voile le lendemain ; nos héros n’avaient donc plus qu’à envoyer leurs bagages et à venir eux-mêmes.

Pour se faire les amis du capitaine, ils l’invitèrent à déjeuner à leur hôtel avant de s’embarquer ; le bon capitaine accepta sans nulle cérémonie. C’était un gros Bas-Normand d’entre Vire et Falaise, qui adorait le cidre en bouteille et les femmes de couleur, deux