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lire. De temps à autre il en glissait quelques-uns dans le feu, d’autres fois il semblait les lancer avec colère, puis la flamme qui avait brûlé se calmait, et la chambre, un instant toute éclairée de cette lueur subite, reprenait sa teinte grise. C’était à la tombée du jour, on était au mois de mars, le soleil sec des premières belles journées venait de s’en aller, colorant encore d’un reflet triste les massifs dégarnis des arbres ; les rideaux des fenêtres étaient ouverts, on voyait le jardin, ses feuilles sèches dans les allées, les bourgeons bruns de ses lilas et le sommet roux des tilleuls dépouillés ; des teintes livides, passant du rouge pourpre à l’orange, se jouaient dans les vitres, s’effaçant tour à tour, disparaissant les unes sur les autres comme des vagues de lumière décroissante ; la nuit venait et les angles de l’appartement étaient noyés dans l’ombre, seulement dans la cheminée quelques charbons brûlaient encore. Henry se penchait vers eux pour pouvoir lire une dernière fois ce qu’il anéantissait pour toujours ; successivement chaque feuille qui flambait l’aidait à reconnaître celle qui allait suivre. Ainsi passèrent les tendres exhortations de sa mère et toutes les caresses qui précédaient son nom, ses travaux depuis deux ans, ses poésies d’autrefois, le journal de ses lectures, extraits de romans, pièces de choix tirées des recueils de vers, écritures anciennes à marge jaunie, et les lettres de Jules, une à une il les sacrifia comme le reste, saisissant de temps en temps un mot, une phrase qui lui rappelait les précédentes et les suivantes ; à peine s’il pouvait y voir, la nuit venait ; afin de lire quelques instants de plus, il avait été se mettre contre les carreaux, mais cette dernière ressource lui ayant vite manqué, il se rassit sur sa chaise, prit tout ce qui restait sur la cheminée et le lança dedans d’un seul coup.

— Tout est fini, dit-il à son tour en regardant