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et douteuse, cherchait ses vieux dieux et en trouvait de nouveaux.

Encore superficiel et obscur, tout à la fois ardent et paresseux, il allait malgré lui de telle idée à telle autre, s’arrêtant à une lettre et passant par-dessus une langue, plein d’hésitations et d’assertions, s’enthousiasmant pour un système ou pour une image ; en faisant de l’analyse il se préoccupait trop de la synthèse, de sorte que le détail lui échappait, et quand il en venait à l’ensemble, les particularités le gênaient, se heurtant et se contredisant les unes les autres. Il croyait trop aux forces de son intelligence ; il avait les yeux plus grands que le ventre ; il s’habitua cependant à ne pas réclamer de l’idéal plus de clartés qu’il n’en a, de la vie humaine plus de bonheur qu’elle n’en comporte. Il eut du mal à se faire à ce rude régime, car il était né avec de grandes dispositions pour chercher le parfum de l’oranger sous des pommiers, et à prendre des vessies pour des lanternes.

Il avait entamé sa jeunesse par l’amour, et il l’avait close par le désespoir.

Il avait eu successivement toutes les passions, naïvement, sérieusement, mais, au lieu de les faire jouer, elles s’étaient fondues d’elles-mêmes et dissipées dans une poésie impossible ; puis il avait vu qu’il faut laisser les passions à leur place et la poésie à la sienne, et il se mettait alors à étudier tout cela dans un ordre logique, sans se plaindre que les épines déchirent ni que la pluie mouille.

N’aimant guère sa patrie, il comprit l’humanité ; n’étant ni chrétien ni philosophe, il eut de la sympathie pour toutes les religions ; n’admirant plus la Tour de Nesle et ayant désappris la rhétorique, il sentait toutes les littératures.

À l’époque où nous sommes arrivés de ce récit, il avait divisé sa vie en deux parts : il s’occupait d’une histoire des migrations de l’Asie et de la composition