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fines et les gants blancs, il ne désira plus être riche, un million de rente lui paraissant à peine tolérable, puisqu’il n’eût pu, avec le double, se faire traîner par des tigres, ou promener sur une galère à trois rangs de rameurs, à voile de pourpre et à mâts de bois odorant, avec des bouffons et avec des singes.

Ayant donc renoncé à l’argent, il se tourna vers la femme, demandant à cet autre rêve le bonheur qu’il cherchait. Il la voulut intacte et pure comme le jour qu’elle sortit des mains de Dieu. Il se créa d’abord un type absolu, auquel il rapportait toutes les ressemblances qu’il apercevait dans le monde, il les rejetait vite, indigné, désolé. Il était en quête des plus longues chevelures, des torses les plus droits, des peaux les plus blanches, des poignets minces, des profils corrects ; il pensait toujours à l’éternelle beauté de cette créature, marchant nue sur les rivages des îles lointaines, au milieu des coquilles, sur un sable jaune, il se la figurait dormant sous de grands arbres, couchée dans un hamac de bambous. Tous les rêves de beauté que les hommes ont faits successivement, à chaque année de leur jeunesse, il les fit, il les reprit à son tour, passant comme eux par toutes les variétés du désir, par toutes les formes du corps ; tout ce qu’ils ont eu d’ardeurs furieuses et de mélancolies d’amour, il les eut, il les sentit en lui, depuis ces regards intenses et doux que les pasteurs, dans la Genèse, versaient sur les filles de Sion, le soir, au bord des citernes où ils menaient boire leurs troupeaux, jusqu’au baiser court et sec du talon rouge, jusqu’à l’étreinte cynique du Directoire.

Il convoita tout cela, l’appelant à lui par la pensée comme à son usage personnel ; vous le croyiez austère et continent, et il vivait avec la sultane voilée qui s’en va aux bains dans son palanquin, portée par quatre nègres, escortée de quatre eunuques le sabre au poing ; il songeait aux ennuis du sérail et à ces longs yeux