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valetaille bien engraissée, qui se tasse dans l’antichambre et vous verse à boire quand vous mangez ; pour faire du jour la nuit, prendre la glace en été, les fruits en hiver, se chauffer avec de l’acajou, se laver les pieds avec du kirsch, mener une vie insolente et dédaigneuse, se sentir adoré de la canaille et détesté des bourgeois, nourrir une foule de gredins et éclabousser une masse d’imbéciles. Il eût voulu marcher dans une mine d’or, pour sentir, dans les entrailles de la terre, les exhalaisons chaudes des métaux.

Mais il ne pensa pas à en gagner, trop occupé à y rêver.

Bientôt, son désir ayant acquis des proportions idéales, la vie moderne lui sembla trop petite, et il remonta à l’antiquité pour trouver des sujets de plaisir et matière à convoitise. C’est là, pour la première fois, qu’il vit les coupes d’or ciselé reluire à la lueur des flambeaux et les frontispices des temples briller au soleil ; il ne pensa plus, dès lors, qu’à ces immenses festins qui éclairaient les ténèbres, où les rois chantaient avec leurs concubines, pendant que le vin coulait au bruit des instruments et que les esclaves criaient dans les supplices ; il comprit Caligula se roulant sur ses tas d’or, et Cléopâtre buvant des diamants.

Ils n’ont pas joui seuls, ces êtres venus pour étonner les hommes ; le rêveur frissonne encore à ces souvenirs du monde antique, retrouvant sans doute au fond de lui-même quelque chose de cette joie insensée et de ces spasmes d’orgueil.

Jules s’amusait à ces songeries, et quand il était las, il en prenait d’autres. Lorsqu’il eut ses idées arrêtées sur la construction d’une maison, et qu’il vit que celle d’un millionnaire est moins belle qu’une cabane de chaume avec des pampres et du raisin ; lorsqu’il comprit que le confortable n’est que la misère honnête, et qu’il eut amassé assez de haine contre les bottes