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tonne de Basse-Normandie, et où il y avait trois poissons rouges presque continuellement immobiles. Quand les parents avaient vu cela, ils étaient ravis, leur enfant respirerait un bon air, ils passaient dès lors par toutes les conditions ; elles étaient fort dures.

Car si M. Renaud prenait peu d’élèves, c’étaient des élèves choisis ; il n’en avait pas plus de cinq ou six, auxquels il consacrait tout son temps et toute sa science. On y préparait les jeunes gens à l’École polytechnique, à l’École normale et aux baccalauréats de toute nature ; il recevait aussi des étudiants en médecine et en droit, se contentant pour ces derniers de leur recommander de ne pas perdre de temps, c’était tout ce qu’il leur enseignait. Du reste ils l’aimaient tous, non point qu’il eût cette raison ardente qui séduit la jeunesse et qui l’attire vers les vieillards, mais c’était un bonhomme facile, leur rendant la vie douce et tranquille, passablement jovial, assez bien bouffon et amateur de calembours.

Il paraissait malin à la première entrevue et bête à la seconde, il souriait souvent d’une manière ironique aux choses les plus insignifiantes, et, quand on lui parlait sérieusement, il vous regardait sous ses lunettes d’or avec une intensité si profonde qu’elle pouvait passer pour de la finesse ; sa tête, dégarnie sur le devant et couverte seulement sur la nuque de cheveux blonds, grisonnants et frisés, qu’il laissait pousser assez longs et qu’il ramenait soigneusement sur les tempes, ne manquait pas d’intelligence ni de candeur ; toutes les lignes saillantes de sa stature, qui était petite et ramassée sur elle-même, se perdaient dans une chair flasque et blanchâtre ; il avait le ventre gros, les mains faibles et potelées comme celles des vieilles femmes de cinquante ans, ses genoux étaient cagneux, et il se crottait horriblement dans les rues.

Si les chaussons de Strasbourg n’avaient pas existé de son temps, il les aurait inventés ; il en portait continuellement,