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trop de cette sympathie personnelle, qui n’a rien de commun avec la contemplation désintéressée du véritable artiste ; le dernier terme de ce genre de critique, sa plus sotte expression, nous est fournie chaque jour par quantité de braves gens ou de dames charmantes, s’occupant de littérature, qui blâment tel caractère parce qu’il est cruel, telle situation parce qu’elle est équivoque et un peu graveleuse, trouvant, en dernier mot, qu’à la place de tel personnage ils n’auraient pas fait de même, sans rien comprendre aux lois fatales qui président à la formation d’une œuvre d’art, ni aux déductions logiques qui découlent d’une idée.

Cette confusion de ses douleurs personnelles avec l’idéal des poètes les embellissait trop pour qu’elles ne lui fussent pas précieuses, alors même qu’elles diminuèrent ; c’était comme le soleil qui montre des perles dans chaque goutte de pluie, fait des diamants avec les cailloux ; aussi le souvenir de ce temps-là resta-t-il toujours dans sa mémoire comme l’époque de sa vie poétique par excellence, l’âge d’or de son cœur.

Plus tard, quand il fut un homme, il y repensa souvent avec une indulgence facile, de même que les peuples vieillis prennent plaisir à revoir dans l’histoire les temps éloignés où ils vivaient du gland des chênes et dormaient sous les tentes.

Il se résigna donc et vécut plus calme, dans l’espoir d’une mort prochaine ; décidé à mourir, la vie lui parut plus belle, il lui souriait tristement, comme à la suite des longues maladies. Il médita son suicide, ce qui l’occupa pendant six mois, puis il le voulut d’une autre façon, ce qui acheva l’année ; au bout de ce temps, il avait pris l’habitude de l’ennui et ne songea plus à s’en aller.

Les jours et les nuits s’écoulaient, pareillement tristes, dans la monotonie des mêmes actions, des repas revenant à la même heure, de la toilette à faire