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Et il défit son chapeau.

Il y eut un long silence.

— Mais pourquoi ne sortez-vous pas ? allez vous promener où bon vous semblera, mon ami, je n’y tiens pas.

— Non, je reste, dit le père Renaud, je reste.

Et il s’assit sur une chaise.

— Il faut aller où vous aviez affaire, reprit Mme Renaud.

— Non, j’irai demain.

— Si, c’est à moi d’obéir, sortez.

— Non, parbleu, ce n’est pas si pressé.

— Que ce ne soit pas ce que j’ai dit qui vous en empêche.

— Non, du moment que je ne le voulais pas…

— Qu’est-ce que cela fait ?

Elle se leva, vint à lui, et le prenant par le bouton de son habit et jouant avec sans le regarder :

— Allons, j’ai eu tort, dit-elle, j’ai été injuste, il ne faut pas m’écouter, voyez-vous, je suis trop vive, je m’emporte, je m’égare. Je vous ai peut-être blessé sans le vouloir, pardonnez-moi, n’y pensons plus, hein ? Je suis une enfant, voyez-vous, ma mère m’a tant gâtée, vous le savez ! elle ne s’entendait pas comme vous à élever les hommes ! Une autre fois je serai plus sage, vous verrez ! c’est que je vous aime tant ! il ne faut pas vous étonner si je suis jalouse, mais j’ai tort, car tu adores toujours ton Émilie, n’est-ce pas ? tu serais désolé de la fâcher, cher ami.

Elle lui flattait le visage avec ses mains, le père Renaud ouvrait de grands yeux sous ses lunettes :

— Oui, tu es bon, pauvre père ; là, voyons, embrassez-moi, vite, un baiser… là, là, pauvre bon !…

— Oui, ma bonne.

— Là, voyons, encore un.

— Oui, encore, ma poule.

— Là, là, cher ami.