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celle où demeurait Mme Lenoir — voyons, répondez, ne vous cachez pas, est-ce là que vous allez ?

— Mais songes-tu à ce que tu dis ?

— Oh ! fort bien, autant que vous à ce que vous faites ; mais dépêchez-vous donc, on vous attend.

— Cela est vrai, il est grandement temps, reprit naïvement le père Renaud, peut-être même…

— Ah ! voilà qui est violent, exclama Mme Renaud rouge de colère, me l’avouer à la face ! me le dire tout haut ! Vous l’avez entendu, monsieur Henry, il va chez elle, il ne s’en cache pas, il le dit, il s’en vante !

— Chez qui ? demanda le père Renaud.

— Il ne vous manque plus que de me forcer à dire son nom !

— Quel nom ?

— Quel nom ? répéta Mme Renaud ; mais son nom, ce nom que vous aimez.

Et elle se cacha la tête sur le fauteuil, en se tournant tout le corps comme quelqu’un qui a des convulsions,

— Mais, ma bonne amie…

— Oh ! ne jurez pas !

— Que le diable m’emporte si…

— Oui, mentez, mentez, ajoutez l’hypocrisie à l’impudence, accumulez outrage sur outrage, ne vous gênez pas, monsieur, je vous connais, rien ne m’étonnera, je suis résignée à tout, j’accomplirai mon devoir jusqu’au bout, je boirai le calice jusqu’à la lie, jusqu’à la mort.

— Mais, en vérité… mais je ne te conçois pas… mais qu’est-ce qu’il y a ?

— Patientez, ce ne sera pas long, vous serez bientôt libre, bientôt la pauvre femme ne sera plus, et alors, débarrassées de toute entrave, vos passions…

— Devant du monde ! mais tais-toi donc, Émilie, M. Henry est là ! tu es folle,

— Folle ! reprit-elle de suite en le fixant d’une ma-