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dessert, il n’en demandait pas plus. D’ailleurs il gagnait de l’argent et était disposé à voir les choses de ce monde sous un jour favorable. Il méditait, en ce moment, un nouveau manuel du baccalauréat ès lettres, qui devait donner un grand renom à son établissement, auquel il se proposait d’adjoindre, l’année suivante, un athénée littéraire pour les jeunes personnes.

Mme Renaud semblait reprise pour lui d’un amour tout nouveau ; le soir, avant de se séparer, elle lui présentait son front à baiser, et après le déjeuner elle l’entraînait au jardin comme autrefois, pour causer tranquillement tout en coupant avec ses ciseaux le bout des églantiers. Henry, qui les regardait se promener de sa fenêtre, cherchant vainement à deviner ce qu’ils pouvaient se dire, sentait malgré lui d’étranges mouvements de jalousie agiter son cœur, mais qu’ils étaient vite apaisés par le regard ironique et tendre de celle qui les avait causés ! plus vite, ma foi, que les flots calmés par le fameux quos ego de Neptune, tant admiré de mon professeur de rhétorique.

Il voulut savoir seulement pourquoi elle feignait tant de l’aimer, et si parfois, ne fût-ce qu’une minute, elle ne disait pas vrai ; car il était bon, ce pauvre M. Renaud, et on pouvait l’aimer, Henry l’aimait bien, lui, et il avait presque des remords de le tromper si bassement.

— Peux-tu le croire ? lui répondait-elle avec colère.

— Qui sait ? disait Henry.

— Quelle pensée ! quelle horrible pensée tu as là ! moi, l’aimer !

Elle se mettait à pleurer et il fallait la consoler.

Elle faisait la jalouse et tracassait son époux légitime à cause de Mme Lenoir, pour laquelle elle l’accusait de nourrir depuis longtemps une passion véritable. Si M. Renaud lui avait adressé la plus simple galanterie ou le moindre petit mot pour rire, c’étaient des mines longues pour toute la semaine, accompa-