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voltigeaient toujours, suivant que le vent soufflait, qu’elle marchait ou se levait, et lui caressaient la figure. Elle avait naturellement des poses abandonnées, pleines de candeur ou de recherche, et elle marchait légèrement, comme ces oiseaux qui pourraient voler s’ils le voulaient. Une ironie peut-être cruelle palpitait sur sa lèvre mince, aux contours de sa bouche discrète ; ses yeux, relevés vers ses tempes, humides et toujours glissant sous les paupières, comme dans les extases lascives, avaient, par surcroît d’attrait, une gaieté sereine, une sorte de naïveté enfantine, vaguement elle faisait penser à cette race de filles d’Ève venues pour perdre les hommes, à ces femmes magiques qui se jouent avec les serpents, s’enlacent le corps dans leurs anneaux et les apaisent en leur parlant, à ces maîtresses de rois qui causent les calamités publiques, créatures perfides et toujours aimées qui vous trahissent dans un baiser, vous vendent pour des bijoux et vous offrent le poison tout en riant, au milieu, de la fête, en se jouant sur vos genoux.

Était-ce à cause de cela que Jules n’osait presque lui parler ? qu’il eût eu peur de rester seul avec elle ? qu’il baissait les yeux rien qu’à la voir de loin ? était-ce respect ? contemplation ou terreur ? et d’abord, l’aimait-il ?

Il en douta lui-même, plus tard, il est vrai, quand, après avoir vécu longtemps d’une vie tout idéale et imaginaire, au milieu d’amours célestes et de sentiments impossibles, il arriva à nier la beauté pour l’avoir trop aimée, et à rire de toutes les passions à force de les avoir étudiées ; mais alors il était encore dans le sérieux de l’illusion et de la vie, sans vouloir mesurer son amour à l’échelle de l’infini. Manie funeste, qui dégoûte des grandes choses et rend vieux de bonne heure ! Pourquoi ne l’eût-il pas aimée ? tout homme commence la vie du cœur par un amour sérieux, il fit donc comme tout le monde.