Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manteaux de granit, étendus la bouche béante ; ils semblent dormir comme des morts. Au bas de l’église circule une pluie ruisselante, froide et grasse, une pluie verte qui suinte des murs ; le sol usé est bourré de cadavres, la terre résonne, les morts sont tassés, et la génération vivante marche sur les générations éteintes. À mesure qu’elle avance, elle s’enfonce dans la terre des tombeaux, et la suivante lui marche sur la tête.

Tout est usé, flétri, fatigué ; le plâtre est tombé d’entre les pierres, les figures de saints sont grises et mangées par le temps ; la rosace, avec ses gerbes, se décolore ; la voûte elle-même s’éventre, surchargée et effrayée de l’abîme qu’elle a sous elle.

Alors Smarh se mit à pleurer amèrement et il dit :

— Hélas ! hélas ! est-ce qu’il est venu quelque conquérant qui a emporté les vases d’or pour en ferrer ses chevaux ? est-ce qu’on a enlevé les reliques des saints ! les hosties sacrées ? pourquoi donc les chants ont-ils cessé ? pourquoi l’encensoir est-il vide ? pourquoi y a-t-il tant de vers qui se traînent sur les tombeaux ? pourquoi tant d’herbes et de mousses sur les murs ? les cierges sont éteints, les fleurs sont fanées.

Autrefois, les dimanches, les enfants venaient tout joyeux s’agenouiller aux pieds de la Vierge, et ils chantaient en regardant la flamme remuer sur la robe étoilée de Marie ; mais il n’y a plus d’enfants ici, j’en ai vu qui détournaient la tête en passant.

Quand la neige couvrait la terre, quand la pluie tombait, quand la grêle battait les vitraux, tous venaient se réfugier sous la voûte, qui s’étendait sur eux comme l’aile d’une colombe. Quand le malheur avait frappé quelqu’un, il venait là, auprès du drap de l’autel, sécher ses pleurs, guérir ses maux. J’en ai vu qui frappaient la terre de leur front et qui mouillaient de leurs larmes les pavés de marbre, et quand ils se