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peaux, va au parvis Notre-Dame, c’est l’heure de la grève, tu y trouveras Le peuple ; va, dis-lui qu’on lui a pris son duc, son enfant bien-aimé, excite-le, mets-lui les armes dans les mains. Toi, Henry d’Harcourt, vole à Saint-Gervais, l’église est pleine de peuple, on y chante un Te Deum pour le roi ; va, dis-lui que Louis IV l’a trompé, dirige sur l’hôtel de ville nos amis. Hardi ! allez !

Deux heures après la multitude assiégeait le palais du roi avec des cris, des huées, des menaces, et les yeux tout rouges de colère ; elle avait déjà massacré Les sentinelles qui veillaient à la porte, et elle promettait avec rage d’en fbncer les portes si Le roi ne se présentait.

C’était pourtant le même peuple qui était venu avec des fleurs et des cris d’amour ! Maintenant il trépignait d’impatience et de rage, comme un homme en délire, il demandait à grands cris : le roi ! le roi ! et mille bras agitaient dans l’air des piques, des haches, des hallebardes, des poignards, des lances et des poings fermés.

Le roi était resté dans sa chambre, seul, assis sur son lit ; il attendait Arnould avec impatience, et les hurlements effrénés du peuple, qui allaient toujours croissant, étaient pour lui l’heure qui précède le moment où la tête du condamné doit rouler sur l’échafaud. Un instant il eut le courage de s’approcher du balcon et de regarder par la fenêtre, mais lorsqu’il vit toute cette mer de têtes qui s’agitait dans les rues tortueuses et qui montait vers le palais comme la tempête, il trembla, il faillit s’évanouir, ses jambes pliaient sous lui, ses dents claquaient, et ses mains humides d’une sueur moite et maladive touchaient instinctivement un crucifix de bois qu’il avait sur la poitrine.

Pourtant il entend des pas précipités dans Le corridor, son cœur bat avec violence. Arnould entra, il était pâle et défiguré, il avait du sang sur le visage.