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Qu’est-ce donc ? ma pensée se perd dans cet abîme.

Est-ce que je n’étais pas heureux à vivre ainsi saintement, à prier Dieu, à secourir les hommes ? Pourquoi me faut-il quelque chose de plus ? L’homme est donc fait pour apprendre, puisqu’il en a le désir ?

Je n’ai que faire de ce que tous les hommes savent, je méprise leurs livres, témoignage de leurs erreurs. C’est une science divine qu’il me faut, quelque chose qui m’élève au-dessus des hommes et me rapproche de Dieu.

Oh ! mon cœur se gonfle, mon âme s’ouvre, ma tête se perd ; je sens que je vais changer ; je vais peut-être mourir, c’est peut-être là le commencement d’éternité bienheureuse promise aux saints.

Un siècle s’est écoulé depuis que je pense, et déjà, depuis que cet inconnu m’a parlé, je me sens plus grand ; mon âme s’élargit peu à peu, comme l’horizon quand on marche, je sens que la création entière peut y entrer.

Autrefois je dormais de longues nuits pleines de sommeil et de repos, je me livrais aux songes vagues et dorés ; souvent je m’endormais en rêvant aux extases célestes, les saints venaient m’encourager à continuer ma vie et me montraient de loin l’avenir bienheureux et le chemin par lequel on y monte ; mais à peine ai-je fermé l’œil que des ardeurs m’ont tourmenté, je me suis levé et je suis venu.

Autrefois l’air des nuits me faisait du bien, je me plaisais à cette molle langueur des sens qu’il procure, je me plongeais dans l’harmonie dont elle se compose, j’écoutais avec ravissement le bruit des feuilles des arbres que le vent agitait, l’eau qui coulait dans les vallées, j’aimais la mousse des bois que les rayons de la lune argentaient ; ma tête se levait avec amour vers ce ciel si bleu, avec ses étoiles aux mille clartés, et je me disais que l’éternité devait être aussi quelque chose de