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Je suis de la campagne, notre père était fermier. Jusqu’à ma première communion, on m’envoyait tous les matins garder les vaches dans les champs ; toute la journée je restais seule, je m’asseyais au bord d’un fossé, à dormir, ou bien j’allais dans le bois dénicher des nids ; je montais aux arbres comme un garçon, mes habits étaient toujours déchirés ; souvent on m’a battue pour avoir volé des pommes, ou laissé aller les bestiaux chez les voisins. Quand c’était la moisson et que, le soir venu, on dansait en rond dans la cour, j’entendais chanter des chansons où il y avait des choses que je ne comprenais pas, les garçons embrassaient les filles, on riait aux éclats ; cela m’attristait et me faisait rêver. Quelquefois, sur la route, en m’en retournant à la maison, je demandais à monter dans une voiture de foin, l’homme me prenait avec lui et me plaçait sur les bottes de luzerne ; croirais-tu que je finis par goûter un indicible plaisir à me sentir soulever de terre par les mains fortes et robustes d’un gars solide, qui avait la figure brûlée par le soleil et la poitrine toute en sueur ? D’ordinaire ses bras étaient retroussés jusqu’aux aisselles, j’aimais à toucher ses muscles, qui faisaient des bosses et des creux à chaque mouvement de sa main, et à me faire embrasser par lui, pour me sentir râper la joue par sa barbe. Au bas de la prairie où j’allais tous les jours, il y avait un petit ruisseau entre deux rangées de peupliers, au bord duquel toutes sortes de fleurs poussaient ; j’en faisais des bouquets, des couronnes, des chaînes ; avec des grains de sorbier, je me faisais des colliers, cela devint une manie, j’en avais toujours mon tablier plein, mon père me grondait et disait que je ne serais jamais qu’une coquette. Dans ma petite chambre j’en avais mis aussi ; quelquefois cette quantité d’odeurs-là m’enivrait, et je m’assoupissais, étourdie, mais jouissant de ce malaise. L’odeur du foin coupé, par exemple, du foin chaud et fermenté,