Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se garer, aux approches de la ville, des charrettes, des voitures, des chevaux, de la foule, de la cohue de canailles et d’honnêtes gens qui formaient le convoi de Mathurin, car aucun roi n’eut jamais tant de monde à ses funérailles. On se marchait sur les pieds, on se coudoyait et on jurait, on voulait voir, voir à toutes forces (bien peu savaient quoi), les uns par curiosité, d’autres poussés par leurs voisins, les uns étaient scandalisés, rouges de colère, furieux, il y en avait aussi qui riaient.

Un moment (on ne sut pourquoi) la foule s’arrêta, comme vous la voyez dans les processions lorsque le prêtre stationne à un reposoir ; ils venaient d’entrer dans un cabaret. Est-ce que le mort, par hasard, venait de ressusciter et qu’on lui faisait prendre un verre d’eau sucrée ? Les philosophes buvaient un petit verre, et un troisième fut répandu sur la tête de Mathurin. Il sembla alors ouvrir les yeux ; non, il était mort.

Ce fut pis une fois entré dans le faubourg ; à tous les bouchons, cabarets, cafés, ils entrent ; la foule s’ameute, les voitures ne peuvent plus circuler, on marche sur les pattes des chiens, qui mordent, et sur les cors des citoyens, qui font la moue ; on se porte, on se soulève, vous dis-je, on court de cabaret en cabaret, on fait place à Mathurin porté par ses deux disciples, on l’admire, pourquoi pas ? On les voit ouvrir ses lèvres et passer du liquide dans sa bouche, la mâchoire se referme, les dents tombent les unes sur les autres et claquent à vide, le gosier avale, et ils continuent.

Avait-il été écrasé ? s’était-il suicidé ? était-ce un martyr du gouvernement ? la victime d’un assassinat ? s’était-il noyé ? asphyxié ? était-il mort d’amour ou d’indigestion ? Un homme tendre ouvrit de suite une souscription, et garda l’argent ; un moraliste fit une dissertation sur les funérailles et prouva qu’on devait