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étonné ni effrayé, il ne pleura pas, il ne cria pas, il ne fit ni humbles prières ni exclamations ampoulées, il ne se montra ni stoïcien, ni catholique, ni psychologue, c’est-à-dire qu’il n’eut ni orgueil, ni crédulité, ni bêtise ; il fut grand dans sa mort et son héroïsme surpassa celui d’Épaminondas, d’Annibal, de Caton, de tous les capitaines de l’antiquité et de tous les martyrs chrétiens, celui du chevalier d’Assas, celui de Louis XVI, celui de saint Louis, celui de M. de Talleyrand mourant dans sa robe de chambre verte, et même celui de Fieschi qui disait des pointes encore quand on lui coupa le cou ; tous ceux, enfin, qui moururent par une conviction quelconque, par un dévouement quel qu’il soit, et ceux qui se fardèrent à leur dernière heure encore pour être plus beaux, se drapant dans leur linceul comme dans un manteau de théâtre, capitaines sublimes, républicains stupides, martyrs héroïques et entêtés, rois détrônés, héros du bagne. Oui, tous ces courages-là furent surpassés par un seul courage, ces morts-là furent éclipsés par un seul mort, par le docteur Mathurin, qui ne mourut ni par conviction, ni par orgueil, ni pour jouer un rôle, ni par religion, ni par patriotisme, mais qui mourut d’une pleurésie qu’il avait depuis huit jours, d’une indigestion qu’il se donna la veille — la première de sa vie, car il savait manger.

Il se résigna donc, comme un héros, à franchir de plain-pied le seuil de la vie, à entrer dans le cercueil la tête haute ; je me trompe, car il fut enterré dans un baril. Il ne dit pas, comme Caton : « Vertu, tu n’es qu’un nom », ni comme Grégoire VII : « J’ai fait le bien et fui l’iniquité, voilà pourquoi je meurs en exil », ni comme Jésus-Christ : « Mon père, pourquoi m’avez-vous délaissé » ; il mourut en disant tout bonnement : « Adieu amusez-vous bien ! ».

Un poète romantique aurait acheté un boisseau de charbon de terre et serait mort au bout d’une heure, en faisant de mauvais vers et en avalant de la fumée ;