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dans le dédain, pour qu’on jette de la boue sur les ailes blanches de ces pauvres anges qui sont partis de votre cœur.

Poète, s’était-il dit, oh ! poète ! poète ! Il répétait ce mot-là comme une mélodie aimée qu’on a dans le souvenir et qui chante toujours dans notre oreille ses notes amoureuses.

Oh ! poète ! se sentir plus grand que les autres, avoir une âme si vaste qu’on y fait tout entrer, tout tourner, tout parler, comme la créature dans la main de Dieu ; exprimer toute l’échelle immense et continue qui va depuis le brin d’herbe jusqu’à l’éternité, depuis le grain de sable jusqu’au cœur de l’homme ; avoir tout ce qu’il y a de plus beau, de plus doux, de plus suave, les plus larges amours, les plus longs baisers, les longues rêveries la nuit, les triomphes, les bravos, l’or, le monde, l’immortalité ! N’est-ce pas pour lui, la mousse des bois fleuris, le battement d’ailes de la colombe, le sable embaumant de la rive, la brise toute parfumée des mers du sud, tous les concerts de l’âme, toutes les voix de la nature, les paroles de Dieu, à lui, le poète ?

Fais-moi des vers, dis-moi quelque chose, chante-moi un rayon de soleil ou un soupir de femme, mais que ta voix soit douce, qu’elle m’endorme comme sous des roses, qu’elle me navre, qu’elle me fasse mourir de volupté, d’extases.

Quand je te verrai, ô poète, quand tu m’auras dit toutes les choses de l’âme, que j’aurai recouvré tes accents, je me mettrai à tes genoux, tu seras mon Dieu, je n’en ai point ; j’étalerai tous les manteaux royaux sous tes pieds, je fondrai toutes les couronnes pour te faire un marchepied.

Et il s’était mis un jour à prendre une plume, il l’avait saisie avec frénésie, il l’avait écrasée, en pleurant de joie et d’orgueil, sur un morceau de papier ; il était là, haletant, l’œil en feu, saisissant au vol les