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était rentré lui-même, après avoir répété plusieurs fois de suite :

— Messieurs, messieurs, on ne paye qu’en sortant !

D’abord le plus jeune des enfants monta d’un pas assez leste l’escalier qui conduisait à la corde, les premiers pas furent incertains, mais bientôt il fut encouragé par la phrase banale de Pedrillo qui, suivant des yeux ses moindres gestes, lui répétait à chaque instant :

— Courage, monsieur, courage ! Bien ! très bien ! Vous aurez du sucre ce soir.

Il descendit.

Son autre frère monta après lui et se hasarda à faire quelques sauts, il tomba sur la tête. Pedrillo le releva avec un regard furieux ; il alla se cacher en pleurant.

Le tour était a Ernesto.

Il tremblait de tous ses membres, et sa crainte augmenta lorsqu’il vit son père prendre une petite baguette de bois blanc, qui jusqu’alors était restée sur le sol.

Les spectateurs l’entouraient, il était sur la corde, et le regard de Pedrillo pesait sur lui.

Il fallait avancer.

Pauvre enfant ! comme son regard était timide et suivait scrupuleusement les contours de la baguette qui restait à bout portant devant ses eux, comme le fond d’un gouffre lorsqu’on est penché sur le bord d’un précipice.

De son côté la baguette suivait chaque mouvement du danseur, l’encourageait en s’abaissant avec grâce, le menaçait en s’agitant avec fureur, lui indiquait la danse en marquant la mesure sur la corde, en un mot c’était son ange gardien, sa sauvegarde, ou plutôt le glaive de Damoclès pendu sur sa tête par l’idée d’un faux pas.

Depuis quelque temps le visage d’Ernesto se contractait convulsivement, l’on entendait quelque chose qui sifflait dans l’air, et les yeux du danseur aussitôt