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dessus. Et les palais, les temples, les pyramides, les colonnes, mausolées du roy, cercueil du pauvre, charogne du chien, tout cela à la même hauteur, sous le gazon de la terre.

Alors, la mer sans digues battra en repos les rivages et ira baigner ses flots sur la cendre encore fumante des cités ; les arbres pousseront, verdiront, sans une main pour les casser et les briser ; les fleuves couleront dans des prairies émaillées, la nature sera libre, sans homme pour la contraindre, et cette race sera éteinte, car elle était maudite dès son enfance.

 

Triste et bizarre époque que la nôtre ! Vers quel océan ce torrent d’iniquités coule-t-il ? Où allons-nous dans une nuit si profonde ? Ceux qui veulent palper ce monde malade se retirent vite, effrayés de la corruption qui s’agite dans ses entrailles.

Quand Rome se sentit à son agonie, elle avait au moins un espoir, elle entrevoyait derrière le linceul la croix radieuse, brillant sur l’éternité. Cette religion a duré deux mille ans et voilà qu’elle s’épuise, qu’elle ne suffit plus, et qu’on s’en moque ; voilà ses églises qui tombent, ses cimetières tassés de morts et qui regorgent.

Et nous, quelle religion aurons-nous ? Être si vieux que nous le sommes, et marcher encore dans le désert comme les Hébreux qui fuyaient d’Égypte.

Où sera la Terre promise ?

Nous avons essayé de tout et nous renions tout sans espoir ; et puis une étrange cupidité nous a pris dans l’âme et l’humanité, il y a une inquiétude immense qui nous ronge, il y a un vide dans notre foule ; nous sentons autour de nous un froid de sépulcre.

L’humanité s’est prise à tourner des machines, et voyant l’or qui en ruisselait, elle s’est écriée : C’est Dieu ! Et ce Dieu-là, elle le mange. Il y a : C’est que