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qu’il sortait d’un rêve pénible, qu’il rêvait cependant encore et qu’il souffrait toujours.

Puis des sons vinrent sur ses lèvres, il balbutia et il appela avec des cris et des injures. Longtemps ainsi on vit cet homme presque nu, la chemise déchirée et rouge de vin, poursuivant le cercueil de ses sarcasmes cyniques, et chancelant dans la route où avaient passé tous ceux qui étaient morts.

On entendait la voix faible du prêtre qui montait la route pierreuse, et au fond, plus bas, le refrain joyeux d’une chanson de table et de débauche, un air sourd avec un rythme bruyant, des paroles indistinctes, mais d’un timbre qui faisait peur, comme si le mort se fût relevé et s’était mis à chanter aussi.

Après bien des efforts Hugues atteignit le convoi, il le fit arrêter encore une fois ; il avait fait fuir les enfants, s’était approché du cercueil.

— Dors-tu ? lui avait-il dit, dors-tu ?

Puis tâtant le drap noir qui le couvrait :

— Tu as froid, lâche ! et moi, continuait-il en frappant de grands coups sur sa poitrine nue, regarde !

Déjà il l’avait découvert et voulait casser le cercueil ; il répandait l’injure, le blasphème, le sarcasme sur le mort, sur le prêtre, sur la croix ; il crachait sur tout cela, il voulait se coucher à sa place dans la bière et continuer son sommeil.

Puis il tomba encore une fois épuisé et s’endormit sur une banque de gazon.

La procession se rallia et parvint enfin au cimetière entouré d’un mur blanc, avec ses jeunes cyprès verts et ses treillages noirs qui entouraient des pierres couvertes d’herbe.

On creusa la fosse de Rymbaud près de celle du dernier maître d’école, et tandis qu’on l’y descendait et qu’on jetait sur lui l’eau bénite, on vit grimacer, à travers les barreaux noirs de la grille du cimetière, la