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La peau livide de sa bouche se releva des deux côtés et laissa voir une mâchoire aiguë et tranchante.

Une cohorte de squelettes, montés sur des chars, s’avançait en courant avec de grands cris de joie et des éclats de triomphe. Derrière eux pendaient des armes brisées, des couronnes de laurier, dont les feuilles jaunies et desséchées s’en allaient rapidement avec la poussière et les vents.

— Tiens, voilà Rome l’éternelle qui marche en triomphe, dit Satan. Son Colisée et son Capitole sont deux grains de sable qui lui ont servi de piédestal, mais la Mort a fauché dans le bas et la statue est tombée.

Écoute ! En tête est Néron, ce fils chéri de mon cœur, le plus grand poète que la terre ait eu.

Néron courait sur un char traîné par douze squelettes de chevaux, le sceptre dans ses mains, il frappait leurs croupes osseuses ; debout, son linceul ondulait et flottait en larges plis ; il tournait ainsi dans la carrière, des cris à la bouche et les yeux en feu.

— Vite ! vite ! plus vite encore ! je veux que vos pieds brûlent le sable, que vos naseaux jettent une écume à blanchir vos poitrails. Eh quoi ! les roues ne fument pas encore ? Entendez-vous les fanfares qui résonnent jusqu’à Ostre, les battements de mains du peuple, les cris de joie ? Tenez, voilà le safran qu’on jette à pleines mains et qui tombe dans mes cheveux, voilà le sable déjà mouillé de parfums. Oh ! comme mon char roule bien ! comme vos cous s’allongent sous vos rênes dorées ! Allons ! plus vite ! la poussière roule, mon manteau flotte, le vent parle et crie : triomphe ! triomphe ! Allons ! plus vite ! plus vite ! voilà qu’on applaudit, qu’on trépigne, qu’on s’agite ; c’est Jupiter qui va dans le ciel. Vite ! vite ! encore plus vite !

Et son char semblait traîné par des démons, une vapeur noire et de la poussière de sang se mêlaient