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J’entends les clairons qui résonnent et vibrent derrière la montagne, comme si un Dieu criait de collines en collines : à la guerre ! à la guerre ! Oui, levons-nous, allons, je veux aujourd’hui marcher sur des cadavres ; je veux que ma cavale ait du sang jusqu’au poitrail, je veux ce soir me faire un monceau de têtes qui dira aux siècles suivants : il a passé là !

Mais où sont donc mes Numides basanés, mes douze Perses qui me tenaient l’étrier, mes trente eunuques de Syrie qui m’offraient des parfums à mon passage, et qui se baissaient si bas qu’on eût dit un tapis noir.

Eh quoi ! je ne vois plus ni les tentes, ni les hommes, ni les étendards de soie ; la plaine est vide, est-ce que tout est fini et que je suis vainqueur ?

Le squelette chancelait, tournait de tous côtés et disait :

J’ai conquis les Indes, le pays du soleil, l’Afrique, où j’ai passé comme la tempête sur l’océan ; j’ai été depuis les glaces du Nord jusqu’aux confins des mers de feu, où l’eau brûle comme la lave ; je suis le maître du monde ; il ne me reste plus que cette bataille, et puis, quand j’aurai tout gagné, je me ferai ciseler un trône dans les Alpes et de là je siégerai sur le monde.

la mort.

Hâte-toi ! hâte-toi !

le roi.

Qui es-tu, fantôme ?

la mort.

Je ne suis pas un fantôme, c’est toi qui est le fantôme que mon souffle va faire évanouir.