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tant de siècles, endormis sous le monde qui palpite sur vos têtes, comme une victime qui tressaille encore à son agonie.

Vous me direz chacun où sont parties vos âmes, et si elles viennent parfois visiter la boue qui les a contenues.


LA DANSE DES MORTS.

Dans un désert immense, rouge et brûlant comme un incendie, la Mort, assise sur elle-même, la tête appuyée sur ses genoux et la mâchoire reposant dans ses mains osseuses, la Mort, comme un faucheur vers le soir, chantait.

D’abord un vaste soupir passa sur ses dents et elle dit :

CHANT DE LA MORT.

I

La nuit, l’hiver, quand la neige tombe lentement comme des larmes blanches du ciel, c’est ma voix qui chante dans l’air et fait gémir les cyprès en passant dans leur feuillage.

Alors je m’arrête un instant dans ma course, je m’assieds sur les tombes Froides, et tandis que les oiseaux noirs voltigent à mes côtés, tandis que les morts sont endormis, tandis que les arbres se penchent, tandis que tout pleure ou tout dort, mes yeux brûlés regardent les nuages blancs qui se déploient et s’allongent au ciel, comme des linceuls qu’on étendrait sur des géants.

Oh ! combien de nuits, de siècles et d’années se sont ainsi passés !

J’ai tout vu naître et j’ai tout vu périr.

À peine si je compte les brèches que chaque géné-