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notre âme, comme elle bat à son aise dans l’étendue du ciel, libre du corps qui l’enfermait ! Hosannah ! gloire à Dieu !

— Passons un peu plus loin, maître ; vous savez que je n’aime pas cette musique criarde et monotone qu’on nomme une hymne. Tudieu ! je hais les chantres du ciel et de la terre, aussi je donne aux premiers des coliques pendant l’office et une voix à faire sauver les saints de pierre ; pour les seconds, je les déteste cordialement, j’aime mieux le tonnerre, cela est plus beau ; d’autant plus qu’il y en à qui pensent que c’est le courroux de votre père qui gronde, et d’autres qui croient que c’est ma voix qui rit.

Jésus avait la tête penchée ; sur le dos ses longs cheveux blonds pendaient en arrière, sur sa tunique bleue qui lui enveloppait les pieds ; il descendait ainsi, regardant les mondes qui roulaient autour d’eux dans l’immensité.

Satan, à cheval sur une sphère, regardait le vide ouvert sous lui, mais son âme était plus large que son abîme et sa douleur plus profonde.

La tête baissée, ses narines gonflées se relevaient jusqu’au milieu de sa figure livide ; ses yeux, à demi fermés, ne laissaient passer qu’une flamme rouge, dévorante comme du feu ; ses cornes passaient à travers les nuages, qui flottaient sur la terre comme un tapis bleu que feraient onduler des enfants.

L’auréole du Christ, passant à travers les gorges des montagnes, argentait la neige comme le soleil.

Au milieu des ténèbres, ils entendirent une voix qui s’élevait vers le ciel comme un choc des flots ; la voix était confuse, immense, on eût dit un muet en colère qui balbutie et écume de rage ; c’était la terre qui parlait.

— Ah ! c’est une malédiction ! dit Satan, je suis chez moi.