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LA DANSE DES MORTS[1].

Que de mots pour si peu de choses
(Épigraphe universelle.)

Mort fait finalement
Tous aller au jugement.

(Danse des Morts.)

I

ÉVOCATION

À la danse, les morts ! À la danse quand minuit sonne et que toute la nef s’ébranle aux sons de sa lugubre harmonie. Alors le ciel se couvre de nuages noirs, les hiboux volent sur les ruines et l’immensité se peuple de fantômes et de démons, et l’on entend des voix du sépulcre, et des cris, et des soupirs ; alors les tombes s’entr’ouvrent, les squelettes défont leurs linceuls que la terre a collés sur leurs os ; ils se lèvent, ils marchent, ils dansent. À la danse, les morts ! Voici l’heure, sortez de vos tombes ; entendez vous le bourdon des cloches qui murmure en chantant : Ne vous lassez pas ? Dansez maintenant que vous êtes morts, maintenant que la vie et le malheur sont partis avec vos chairs. Allez ! vos fêtes n’auront plus de lendemain, elles seront éternelles comme la mort, dansez ! Réjouissez-vous de votre néant ; pour vous plus de soucis ni de fatigues, vous n’êtes plus ; pour vous plus de malheur, vous êtes morts. Oh. les morts, dansez !

Dansez ! Que la ronde soit immense et la fête joyeuse ! Dansez jusqu’au jour, et puis vous vous re-

  1. 18 mai 1838, vendredi matin.