au coin d’une rue : « Monsieur, du pain » ! et qui vous montre un pistolet ; la misère ? c’est l’espion qui se glisse derrière votre paravent, écoute vos paroles et va dire au ministre : « Ici, il y a une conspiration ; là, on fait de la poudre ». La misère ? c’est la femme qui siffle sur les boulevards entre les arbres ; vous vous approchez d’elle, et cette femme a un vieux manteau usé ; elle ouvre son manteau, elle a une robe blanche, mais cette robe blanche a des trous ; elle ouvre sa robe et vous voyez sa poitrine, mais sa poitrine est amaigrie, et dans cette poitrine il y a la faim. Ah ! la faim ! la faim ! oui, partout la faim, jusque dans son manteau dont elle a vendu les agrafes d’argent, jusque dans sa robe dont elle a vendu la garniture de dentelles, jusque dans les mots dits avec souffrance : « viens ! viens » ! Oui, la faim jusque dans ses seins où elle a vendu des baisers !
Ah ! la faim ! la faim ! ce mot-là, ou plutôt cette chose-là a fait les révolutions ; elle en fera bien d’autres !
Le malheur, lui, avec sa figure aux yeux caves, va plus loin ; il pose sa griffe de fer jusque sur la tête du roi, et pour percer son crâne brise sa couronne. Le malheur ? il assomme un ministre, il siège au chevet d’un grand, il va chez l’enfant, le brûle, le dévore, blanchit ses cheveux, creuse ses joues et le tue ; il se tord, il rampe comme un serpent, et il tord les autres et les fait ramper aussi. Oh ! oui, le malheur est impitoyable, insatiable ; sa soif est continuelle, c’est comme le tonneau des Danaïdes qui était sans fond ; lui, son avidité est sans fin. Aucun homme ne peut se vanter d’avoir échappé à ses coups, il s’attache aux jeunes, il les embrasse, les caresse, mais ses caresses sont comme celles du lion, elles laissent des marques saignantes ; il vient tout à coup au milieu de la fête, des rires, de la joie et du vin.