Et il ne faut pas nous plaindre encore !
Non, car le Duc nous tuerait, il est dur comme du fer. Mais il souffre aussi, le pauvre homme ! que de désastres pour un grand prince ! Tant de défaites malgré un si beau courage ! il faut qu’il y ait un sort sur sa tête.
Je le crois. Et puis son caractère est changé, on dirait que quelque chose le ronge sans cesse, son teint pâle est devenu livide, il ne mange plus et boit du vin outre mesure, lui si sobre d’ordinaire.
Est-ce le malheur ou la maladie, je n’en sais rien, mais depuis Granson il est tout autre. Ces diables de Suisses nous ont si cruellement battus ! ils lui ont pris tous ses bijoux et toutes ses draperies.
Je me sens des faiblesses dans les genoux. Jehan, si je tombais, tu me relèverais rudement, car on dit que si l’on s’endormait ce serait pour toujours. Les yeux me piquent et s’obscurcissent, il me semble voir des taches de sang sur la neige et des feux follets bien loin qui courent entre les tentes.
Du courage, morbleu ! j’en ai vu de plus dures. Quand nous avons été avec le roi de France assiéger Liège, c’était vers les Rois, comme aujourd’hui ; on cassait les pipes de vin avec les haches, la peau se déchirait et le sang sortait par les plaies. Du courage, l’enfant !