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LOYS XI.

Le fou

Pourquoi ne cumulez-vous pas les deux fonctions ? la chose n’est pas rare ; ici, par exemple…

Louis XI

Silence, Pasques Dieu !… Commines, si tu manquais… Il est cependant bien intéressé ! mais je ne lui ai pas assez promis d’or, de richesses ! On ne l’écoutera pas, peut-être… Oh ! non !… Et si Charles allait prendre une résolution terrible, s’il allait venir ici !… il me semble le voir déjà, pâle, menaçant, et les valets rouges derrière lui… Je tremble et j’ai pourtant affronté la mort… Quoi ? Oh ! non ! je ne peux mourir, je n’ai pas assez régné pour mourir, et cependant… ces imbéciles de Liégeois… Mais si j’allais mourir, car c’est un fou que ce Charles de Valois ; dans sa colère s’il allait me tuer !… Oh ! pourquoi ai-je oublié, avant de partir pour ce fatal voyage, de faire tirer mon horoscope par Angelo, je me serais épargné bien des angoisses ; je n’ai jamais autant souffert.

Le fou, chantant.

Adieu, belle compagnie,
Je prie Dieu qu’il vous maudie,
Et le jour que vous reviendrez
Allez-vous en, allez, allez,
Souci, soin et mélancolie.

Louis XI

De grâce, mon pauvre fou, tais-toi, tu me fais mal. (À part.) Pas de faiblesse devant ce bouffon ; il m’en coûte de dévorer tout cela. Ah ! mon Dieu !… Dieu ! que j’étais insensé ! c’est que je m’étais trop fié à moi-même, et vous m’en avez puni. Pardon, douce mère de Dieu, n’est-ce pas que vous m’en avez assez puni ? Car je vous aime et vous êtes une gentille maîtresse qui ne voudriez pas laisser mourir un de vos bons