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LOYS XI.

Le brasseur

Il fallait me tuer du coup. Mais je t’attendrai au détour d’un carrefour, toi, et j’enfoncerai mes ongles dans ta gorge, et puis je panserai ma blessure avec ta bannière que j’aurai traînée dans la boue pour l’ennoblir, entends-tu cela ?

Le Duc, au peuple avec douceur.

Mes enfants, Dieu vous garde ! Je suis votre prince et légitime seigneur, je viens vous réjouir de mon entrée, et je vous prie, mes amis, de vous comporter doucement pour l’amour de Dieu et pour vous-mêmes. (Les murmures s’apaisent.) Tout ce que je pourrai pour vous, sauf mon honneur, je le ferai.

Des voix

Merci ! nous sommes vos enfants.

Le tonnelier

Mais il faut nous faire justice de vos gens, qui nous traitent comme des bestiaux ; d’abord ils nous ont tondus ras, ils ont vendu notre laine, puis ils nous ont dépouillés de nos derniers biens, et maintenant que nous n’avons plus rien, voilà qu’ils nous déchirent la chair et qu’ils la mangent.

Le Duc

Après ?

Une voix

Laissez parler cet homme-là, corbleu ! il dit vrai.

Le tonnelier

Ils sont riches de notre misère, eux qui sont venus ici comme valets ou palefreniers ; c’est en volant qu’ils se sont enrichis, car ils avaient faim d’abord et ils ont dévoré ; maintenant qu’ils ont assez, ils savourent.