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LOYS XI.

à travers mon échoppe, les compagnies piétiner sur le pavé, je voudrais pouvoir enfoncer mon tranchet dans le poitrail de leurs chevaux. J’ai vu les concubines de tous ces gens-là passer sur leur brancard, et la sueur de notre front, le travail de nos bras, c’est pour leur acheter des parfums ou du velours sans doute. Ah ! morbleu ! il va y avoir une chaude journée et nous allons nous battre.

Tous

Bien dit !

Un chapelier

Il ne veut plus de nos chaperons, il faudra aller nu-tête à l’ardeur du soleil, recevoir la neige pendant l’hiver, et leurs coups de lance toute l’année.

Une jeune fille

On dit que le Duc n’aime pas les femmes ; ces gens-là ont le cœur dur d’ordinaire.

Un brasseur

Moi aussi, mes amis, je leur en veux, et de vieille date. Mon frère aîné est mort à l’armée, on ne nous rapporta même pas la bague de Saint-Hubert que ma pauvre mère lui avait mise au petit doigt le jour de son baptême ; à 16 ans, j’eus le bras cassé d’un coup de bâton par le bailli, en allant couper du bois dans la forêt du Duc ; mon père fut envoyé aux galères pour avoir tué un sanglier. Un jour le comte de Charolais lui-même, en poursuivant un cerf, ravagea la moisson de notre champ ; ma fiancée fut enlevée par un officier d’archers ; un impôt sur la bière nous ruina tous, et hier encore, mes amis, deux officiers, pour une gageure, je crois, lancèrent des flèches dans la chambre de ma mère, elles tombèrent sur son lit. Oh ! mais tout cela va éclater maintenant, car lorsqu’il y a longtemps que les haines et les pleurs fermentent dans l’âme, au