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cide, la mena par la main au bas de l’escalier, il se mouilla même les pieds dans la cour en la reconduisant jusqu’à la porte de la rue.

Mazza ne pouvait marcher dans les rues tant sa tête était brûlante ; ses joues étaient pourpres et il lui sembla plusieurs fois que le sang allait lui sortir par les pores. Elle passa par des rues où la misère était affichée sur les maisons, comme ces filets de couleur qui tombent des murs blanchis, et en voyant la misère elle disait : je vais me guérir de votre malheur ; elle passa devant le palais des rois et dit, en serrant le poison dans ses deux mains : Adieu, l’existence, je vais me guérir de vos soucis ; en rentrant chez elle, avant de fermer sa porte, elle jeta un regard sur le monde qu’elle quittait, et sur la cité pleine de bruit, de rumeurs et de cris : Adieu, vous tous ! dit-elle.

X

Elle ouvrit son secrétaire, cacheta le flacon d’acide, y mit l’adresse, et écrivit un autre billet ; il était adressé au commissaire central.

Elle sonna et le donna à un domestique.

Elle écrivit sur une troisième feuille : « J’aimais un homme ; pour lui j’ai tué mon mari, pour lui j’ai tué mes enfants, je meurs sans remords, sans espoir, mais avec des regrets ». Elle la plaça sur sa cheminée.

« Encore une demi-heure, dit-elle, bientôt il va venir et m’emmènera au cimetière. »

Elle ôta ses vêtements, et resta quelques minutes à regarder son beau corps que rien ne couvrait, à penser à toutes les voluptés qu’il avait données et aux jouissances immenses qu’elle avait prodiguées à son amant.

Quel trésor que l’amour d’une telle femme !

Enfin, après avoir pleuré, pensant à ses jours qui s’étaient enfuis, à son bonheur, à ses rêves, à ses